Eolien : Le mécanisme d’achat pourrait constituer une aide d’Etat illégale
L’association Vent de Colère ! a introduit en 2009 un recours pour excès de pouvoir à l’encontre d’un arrêté ministériel du 17 novembre 2008 fixant les tarifs de rachat de l’électricité d’origine éolienne.
Cette association faisait valoir que le mécanisme mis en place par cet arrêté constituait une aide d’Etat et que l’absence de notification préalable à la Commission européenne en faisait une mesure illégale au regard du droit de l’Union européenne.
Par une décision en date du 15 mai 2012, considérant que cette question présente une difficulté sérieuse, le Conseil d’Etat a saisi la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle. Dans une décision en date du 19 décembre 2013, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a estimé que le mécanisme français de l’obligation d’achat de l’électricitééolienne constitue une intervention au moyen de ressources de l’Etat.
En application d’une loi du 10 février 2000, les installations produisant de l’électricitéà partir d’énergies renouvelables remplissant certaines conditions peuvent bénéficier d’une obligation d’achat de l’électricité produite à un prix supérieur à celui du marché. Les débiteurs de cette obligation d’achat sont les distributeurs exploitant le réseau auquel est raccordée l’installation, à savoir EDF et les distributeurs non nationalisés.
Les conditions d’achat de l’électricité produite à partir d’énergies renouvelables (tarifs et durée des contrats) sont fixées par des arrêtés propres à chaque type d’énergie renouvelable (hydraulique, éolien, photovoltaïque, biomasse, etc.).
Les surcoûts découlant pour EDF et les distributeurs non nationalisés de l’obligation d’achat font l’objet d’une compensation intégrale financée par la contribution au service public de l’électricité (CSPE), due par tous les consommateurs finals d’électricité.
La décision de la Cour de justice de l’Union européenne
La question préjudicielle posée par le Conseil d’Etat à la Cour de justice de l’Union européenne était la suivante : le mode de financement du mécanisme de compensation des surcoûts résultant de l’obligation d’achat de l’électricité d’origine éolienne, doit-il être regardé comme une intervention de l’Etat ou au moyens de ressources d’Etat ?
Le Conseil d’Etat a considéré qu’en l’espèce les trois autres critères cumulatifs pour qualifier la mesure d’«aide d’Etat» au regard du droit de l’Union européenne étaient remplis.
Le fait que le Conseil d’Etat pose cette question préjudicielle ne constitue pas un revirement de jurisprudence, quand bien même le Conseil d’Etat avait déjà pris position sur ce sujet dans une décision du 21 mai 2003. En effet, le Conseil d’Etat avait considéré en 2003 qu’un système dans lequel les surcoûts générés par l’obligation d’achat étaient financés par un fonds du service public de la production d’électricité, alimenté par des contributions dues par les producteurs, fournisseurs et distributeurs, ne pouvait être qualifié d’aide d’Etat. A la suite d’un changement législatif intervenu en 2003, la compensation de l’obligation d’achat est désormais financée par des contributions dues par les consommateurs finals d’électricité , ce qui, selon le Conseil d’Etat, est susceptible de caractériser une aide d’Etat.
Le gouvernement français a notamment soutenu devant Cour de justice de l’Union européenne que l’obligation d’achat était neutre pour le budget de l’Etat et que la désignation de la Caisse des dépôts en tant qu’entité chargée de centraliser les contributions était motivée par des considérations pratiques.
Les arguments mis en avant par le gouvernement français n’ont pas été suivis et la Cour de justice de l’Union européenne a jugé dans la décision du 19 décembre 2013 que le mécanisme français de compensation intégrale des surcoûts imposés à des entreprises en raison de l’obligation d’achat constituait une intervention au moyen de ressources d’Etat. Deux arguments ont été mis en avant par la Cour dans sa décision. Premièrement, la Cour a considéré que le mécanisme de financement est imputable à l’Etat, dans la mesure où il a été institué par la loi. Deuxièmement, elle a retenu que les fonds payés au titre de la CSPE sont sous contrôle public, de par leur mode de gestion par la Caisse des dépôts et consignations (notamment le fait que la Caisse des dépôts, organisme public, est mandatée en ce sens par l’Etat et qu’elle ne réalise aucun bénéfice de cette activité).
Conséquences juridiques et pratiques de la décision de la Cour de justice de l’Union européenne
Le Conseil d’Etat, à qui il appartient désormais de se prononcer sur la qualification du mécanisme de financement d’«aide d’Etat», devrait trancher ce litige dans les prochaines semaines. L’annulation de l’arrêté tarifaire pour l’énergie éolienne au motif qu’il institue une aide d’Etat illégale est l’issue la plus probable.
Afin de préserver les contrats d’achat qui ont été sur la base de l’arrêté du 17 novembre 2008, le Conseil d’Etat a la possibilité, s’il estime que l’annulation de l’arrêté du 17 novembre est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives, de différer l’annulation et de prévoir qu’elle n’aura d’effet que pour l’avenir.
Toutefois, une telle hypothèse apparaît comme théorique dans la mesure où la Cour de justice de l’Union européenne a fermement rejeté la demande formulée par le gouvernement français de limiter dans le temps les effets de l’arrêt rendu par la Cour et de déroger au principe selon lequel les arrêts d’interprétation, comme celui rendu en l’espèce, produisent des effets à compter de la date d’entrée en vigueur de la règle interprétée, donc même en ce qui concerne les rapports juridiques nés et constitués avant l’arrêt statuant sur la demande d’interprétation. Pour rejeter cette demande, la Cour de justice de l’Union européenne a retenu, d’une part, que le gouvernement français ne pouvait pas méconnaître l’interdiction de mettre à exécution ce type de mesure ni les conséquences juridiques résultant de l’absence de notification d’une mesure qualifiée d’aide d’Etat et que, d’autre part, elle ne pouvait pas décider une limitation dans le temps des effets de son arrêt sur la base uniquement des conséquences financières que sa décision pourrait entraîner.
Prenant connaissance de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie a indiqué que les conséquences de l’hypothèse d’une qualification d’aide d’Etat du mécanisme d’obligation d’achat avaient été anticipées par le gouvernement, qui a engagé en 2013 des discussions avec la Commission européenne et procédéà la notification du dispositif de soutien à l’éolien en octobre 2013.
Toutefois, l’absence de notification préalable du mécanisme à la Commission le rend illégal et des incertitudes juridiques sont à anticiper, malgré les assurances données par le ministre de l’énergie. En effet, à supposer que la Commission européenne déclare le mécanisme quoi lui a été notifié en octobre 2013 comme étant compatible avec le marché commun, cette déclaration de compatibilité n’aura pas pour effet de régulariser, rétrospectivement, les contrats d’achats qui ont été conclus sur la base des tarifs fixés par l’arrêté du 17 novembre 2008.
L’annulation de l’arrêté du 17 novembre 2008 créera ainsi un vide juridique, dans la mesure où il y aura un doute sur la validité des paiements au titre des contrats d’achat de l’énergie éolienne.
Il est à noter que, précédemment, l’annulation par le Conseil d’Etat d’un arrêté tarifaire pour l’énergie solaire n’a pas eu pour effet une remise en cause des contrats d’achat conclus sur son fondement, mais, en l’espèce, les acheteurs d’électricité avaient reçu une instruction formelle de la part du ministre de l’énergie afin de ne pas cesser les paiements au titre des contrats.
Quatre autres conséquences potentielles sont envisageables.
Premièrement, une juridiction pourrait ordonner le remboursement de l’aide. Dans l’hypothèse où la Commission considère, au terme de l’analyse du mécanisme de soutien notifié en octobre 2013, que le mécanisme de soutien à l’énergie éolienne est compatible avec le marché commun, une juridiction nationale saisie d’une demande visant le remboursement de l’aide n’aura pas l’obligation d’ordonner la récupération intégrale de l’aide, mais devra cependant ordonner la récupération des intérêts pour la période pendant laquelle l’aide aura été illégale.
Deuxièmement, des actions en dommages et intérêts, notamment sur le fondement de la concurrence déloyale, pourront être introduites par des tiers contre les producteurs d’énergie éolienne ayant bénéficié du mécanisme de l’obligation d’achat.
Troisièmement, la décision qui sera rendue par le Conseil d’Etat est susceptible d’avoir un impact sur l’ensemble du secteur des énergies renouvelables. En effet, l’ensemble des aides accordées sur le fondement de l’obligation d’achat instituée par la loi de 2000 risquent d’être qualifiées d’aide d’Etat en cas de recours. Les contrats d’achat pour l’énergie solaire, de biomasse ou hydroélectrique conclus depuis 2000 pourraient ainsi également être remis en cause. Par ailleurs, même la rémunération accordée au titre des contrats d’achat conclus à l’issue des appels d’offres organisés par la Commission de régulation de l’énergie pourrait être contestée sur le fondement des règles relatives aux aides d’Etat, dans la mesure où le mécanisme de compensation de l’obligation d’achat est dans leur cas identique à celui mis en place pour les contrats d’achat conclus sur la base d’arrêtés ministériels.
Quatrièmement, il n’est pas exclu que l’analyse retenue par le Conseil d’Etat dans sa décision précitée du 21 mai 2003 soit contestée. Il pourrait en effet être soutenu que dans le précédent système la gestion comptable et financière du fonds du service public de la production d’électricitéétait déjà assurée par la Caisse des dépôts, et que dès lors, le contrôle de l’Etat sur le mécanisme de financement de l’obligation d’achat était déjà manifeste. Cette position a d’ailleurs été soutenue par la Commission européenne au cours de la procédure devant la Cour de justice de l’Union européenne. La question n’a pas été tranchée par la Cour dans la mesure où elle excédait le champ de la question préjudicielle qui lui était posée. Il n’est cependant pas exclu qu’elle soit soulevée dans le cadre de recours ultérieurs afin de contester sur le fondement des règles relatives aux aides d’Etat les précédents arrêtés tarifaires pour l’énergie éolienne de 2001 et 2006, mais aussi d’autres arrêtés relatifs aux autres types d’énergies renouvelables.
Il est à noter que la décision de la Cour de justice de l’Union européenne a déjà eu un impact significatif sur l’opinion publique puisque plusieurs milliers de courriers auraient déjàété adressés à la Commission de régulation de l’énergie réclamant un remboursement de la CSPE ou tout du moins, le re-calcul du montant de celle-ci sans la part liée à l’énergie éolienne.
Ruxanda Lazar, Counsel,
Cabinet d’avocats King and Spalding – Paris
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