Pour que le projet Desertec devienne une réalité industrielle (I)
Une conférence intitulée « Les facteurs clé de réussite pour les grands projets solaires » et relative notamment au projet méditérranéen “Desertec” a été organisée par BearingPoint, cabinet de conseil et Enerpresse, le 12 janvier dernier.
Au menu de cet évènement, des analyses, des recommandations et un débat sur le cas du projet Desertec.
Les experts participants à cette conférence :
- Emmanuel AUTIER, Associé Utilities au sein du cabinet BearingPoint,
- Philippe LOREC, Adjoint du directeur général de l’Energie et du Climat du Ministère de l’écologie,
- Lynn NAHMANI, Experte en financement de projet,
- Jean CHRISTOPHE, Directeur Général de la Deutsche Pfandbrief Bank
- Mustapha Kamal FAID, Ancien directeur général à l’Observatoire Méditerranéen de l’Energie
Les deux rives de la Méditerranée doivent faire face à l’accroissement inévitable de la consommation d’énergie. Pendant ce temps, les problématiques du sud et du nord évoluent en sens inverse.
Tout d’abord, la présence de peu de ressources énergétiques au nord tandis que d’importantes sources d’énergie renouvelables existent au sud. Et ensuite, la présence d’un savoir-faire technologique importante au nord alors que le sud dispose de peu de savoir-faire et a plus besoin d’un transfert de compétence.
L’énergie solaire présente un intérêt pour diverses raisons : le potentiel est gigantesque (moins de 6h suffiraient à produire la quantité d’énergie que l’humanité consomme en un an) ; des champs de collecteurs solaires sur moins de 0,3 % des surfaces désertiques de la région sud méditerranéenne suffiraient à répondre à l’augmentation des besoins en électricité et eau douce de ces pays et de l’Europe.
C’est dans ce contexte que le concept Desertec est né et qu’une fondation Desertec a vu le jour en 2008 pour le formaliser. Un an plus tard, une entreprise dont le but est de concrétiser le projet, voit le jour.
Quels sont les facteurs clés de succès de ce projet pharaonique ? Comment s’assurer qu’un projet comme Desertec devienne une réalité industrielle ? Telles sont les questionnements auxquels le cabinet BearingPoint a essayé de répondre à travers son étude et auxquels le panel d’expert de la conférence va essayer d’apporter un éclairage.
1. Favoriser des deux côtés de la Méditerranée une réglementation cohérente
Il s’agit de favoriser l’émergence de réglementations locales, de projets locaux sans vouloir aller vers une harmonisation multi-pays, qui pourrait être contre-productive.
Il est important d’assurer une cohérence et une compatibilité des messages à adresser aux partenaires de l’autre côté de la méditerranée pour éviter un déséquilibre au sein même de l’Europe et des pays du sud.
2. Repenser la coopération entre le nord et le sud afin de construire une relation durable gagnant-gagnant
Dès l’amont, il s’agit de s’accorder sur les attentes de chacun. Il apparaît en effet nécessaire d’adopter une approche de gagnant-gagnant permettant d’assurer les intérêts des pays du sud notamment dès l’amont du projet à travers les contrats d’approvisionnement ainsi que par la mise en place d’une gouvernance portée par l’ensemble des pays (pays du sud producteurs et pays du nord consommateurs). Il sera notamment intéressant de s’inspirer du modèle de coopération Chine-Occident qui favorise au coeur de la relation bilatérale le transfert de technologie entre les deux parties et la recherche d’équilibre.
3. Mettre en place un « marché européen de l’électricité verte » pour permettre la rentabilité des infrastructures et le développement du secteur
Il s’agit d’émettre des conditions de marchés qui permettent de construire un véritable marché structuré avec les corolaires boursiers, financiers et fiscaux liés, permettant ainsi de fluidifier les échanges. Il faudra tout particulièrement veiller à construire un marché unifié sur les deux rives de la méditerranée pour avoir un marché productif et ouvert à toutes les parties prenantes.
4. Evaluer la maturité des technologies et être continuellement à la pointe de l’innovation technologique
Les technologies du solaire restent chères. Il s’agit de se mettre en capacité d’innover continuellement pour générer les bonnes idées et aboutir à diminuer les coûts in fine en s’entourant notamment, de start-ups innovantes, de facultés, de pôles de recherche. Il est crucial que ces centres d’intelligence soient au plus près des lieux de développement du projet (et notamment dans les pays du sud).
5. Prendre en compte l’ensemble de l’équation environnementale
Le solaire thermodynamique a un impact environnemental modéré du fait de son empreinte carbone faible, cependant cette technologie nécessite deux à trois fois plus d’eau qu’une centrale à charbon. L’eau est essentielle pour refroidir le système et pour nettoyer la poussière sur les panneaux solaires, ce qui est nécessaire pour améliorer leur efficacité. Ceci pose donc un double enjeu du fait que les installations soient au Sahara : la rareté de l’eau dans cette région et la grande fréquence des tempêtes de sables. La prise en compte de l’ensemble de l’équation environnementale n’est donc pas aussi simple que prévue.
Il s’agira de trouver des solutions adaptées aux territoires en envisageant par exemple, des installations de panneaux près des mers, de coupler la problématique de production énergétique à la problématique de dessalement de l’eau…
6. Garantir la pérennité du développement de DESERTEC en améliorant son niveau de rentabilité
Il est obligatoire d’intéresser les investisseurs à ce type de projet. Pour que le projet voit le jour, il est important de répondre à des exigences de rentabilité de l’ordre de 12 à 15% (niveaux de rentabilités comparables à ceux des projets hydrocarbures).
Aujourd’hui, ce taux de rentabilité n’est pas atteint mais des analyses du DLR 1 datant de 2005 ont montré que la rentabilité du projet Desertec serait atteinte entre 2020 et 2030. Cela pourra devenir possible à condition de jouer sur plusieurs leviers comme les revenus et les coûts. Ainsi, la Dii anticipe une baisse à 4-5 centimes d’euros à terme.
Il s’agira ensuite de définir à quel prix cette énergie pourra être revendue au consommateur.
7. Consolider les ressources financières tout au long du projet par la mise en place d’un partenariat Public-Privé
L’un des principaux enjeux du projet DESERTEC est de s’assurer de la mise à disposition de ressources financières suffisantes sur toute la durée du projet. Il faudra alors faire appel à deux types de ressources financières qui assureront le financement de Desertec de manière différente mais complémentaire tout au long du projet : des ressources provenant d’acteurs publics et des ressources provenant d’acteurs privés à travers des partenariats publics-privés.
En synthèse, il apparaît que le défi d’un tel projet est finalement d’apporter une réponse aux mutations énergétiques mondiales : épuisement des ressources fossiles, lutte contre gaz à effet de serre, diversification des partenaires énergétiques, sécurisation alimentation énergétique…
D’autre part, ce type de projet est aussi une possibilité pour l’Afrique du Nord de se doter d’un rôle nouveau et plus central en se positionnant comme le grenier d’énergies renouvelables pour elle-même et pour l’Europe. Ce rôle pourra être un atout de taille pour l’Afrique et constituer un catalyseur de développement du continent dans sa globalité.
Voir aussi : la 2ème partie
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