Crise du solaire allemand : quelle politique de soutien public ?
Rien ne va plus pour l’industrie photovoltaïque allemande. Dépassé par le boom des installations, le gouvernement a dû mettre un frein brutal aux subventions dont le coût menaçait d’exploser. Pris en tenailles entre la concurrence chinoise et la chute des prix des panneaux, plusieurs fleurons de cette jeune industrie sont au bord de la faillite. Après des années fastes, le secteur doit brutalement s’ajuster à des conditions nouvelles. Et s’adapter pour espérer rebondir.
L’annonce a sonné comme le coup de grâce pour l’industrie photovoltaïque allemande. Fin février, le gouvernement allemand a décidé d’avancer de trois mois la baisse des tarifs de rachat garantis pour l’électricité d’origine photovoltaïque, initialement prévue pour juillet 2012. De surcroît, l’ampleur de la baisse sera multipliée par deux. Après une série de coupes successives en 2010 et 2011, le prix payé aux propriétaires d’installations photovoltaïques pour l’électricité produite sera abaissé jusqu’à 30 %, selon le type d’installations.
Cette nouvelle mesure risque fort de coûter cher à un secteur déjà exsangue. En décembre, le fabricant de panneaux solaires allemand Solon a dû mettre la clé sous la porte. Son homologue Sunways, menacé d’un sort similaire, a dû pour survivre passer dans le giron du Chinois LDK. Dans leur sillage, d’autres entreprises du secteur trébuchent ou perdent pied, à l’instar de l’installateur Solar Hybrid ou du fabricant d’inverseurs solaires SMA Solar (les inverseur ou onduleurs transforment le courant continu de 12 ou 24 V en courant alternatif de 230 V).
Des fleurons de l’industrie en péril
L’exemple de Q-Cells est sans doute le plus frappant. Autrefois considéré comme l’un des champions de l’industrie solaire nationale, le fabricant de cellules photovoltaïques a annoncé en janvier des pertes de 846 millions d’euros en 2011, pour un chiffre d’affaires d’un milliard d’euro. Son action en bourse s’est effondrée, et le groupe a été contraint de solliciter ses créanciers obligataires pour rééchelonner sa dette. Le 2 avril, l’entreprise, qui emploie 2000 personnes, annonçait qu’elle déposait son bilan.
Pourquoi une telle hécatombe ? Comme leurs concurrents internationaux, les fabricants de cellules et de panneaux photovoltaïques allemands sont d’abord victimes d’une crise de surproduction à l’échelle mondiale. Alors que la capacité de production de modules photovoltaïques atteint 50 GW par an, les ventes annuelles s’élevaient fin 2011 à seulement 21 GW, comme l’expliquaient en novembre 2011 les analystes de la banque suisse Sarasin dans leur rapport “Industrie solaire : seuls les plus affûtés survivront dans un marché extrêmement compétitif”. «Les producteurs ont construit leur capacité de production sur des prévisions qui étaient trop optimistes», résume Matthieu Glachant, directeur du Centre d’économie industrielle des Mines ParisTech.
Résultat : les prix des panneaux solaires se sont effondrés. Selon l’agence spécialisée Bloomberg New Energy Finance, ils ont été divisés par deux en 2011. Les industriels allemands ne sont pas les seuls touchés : aux Etats-Unis, les fabricants Solyndra LLC et Evergreen Solar ont également mordu la poussière, tandis que First Solar connaît de sérieuses difficultés. Le chinois Suntech a également rapporté de lourdes pertes. Mais si la crise a frappé tous les fabricants, les producteurs allemands sont tombés de particulièrement haut.
La fin brutale du « miracle solaire » allemand
Car avant l’orage, il y eut l’euphorie. Porté par une politique très volontariste mise en place dès 2000 grâce à la loi sur les énergies renouvelables (en allemand, Erneuerbare Energien Gesetz ou EEG) instaurant des tarifs de rachat garantis sur 20 ans, le solaire allemand a connu une formidable expansion, qui s’est accélérée à la fin des années 2000.
De 1105 MegaWatts (MW) en 2004, la capacité de production installée pour le photovoltaïque est passée à plus de 24 000 MW aujourd’hui, selon les statistiques publiées par le ministère fédéral de l’Environnement, de la Protection de la nature et de la Sûreté nucléaire (doc .PDF). L’Allemagne produit aujourd’hui environ 4% de son électricité grâce au photovoltaïque.
Un développement sans commune mesure avec le reste des pays développés, qui se sont lancés dans la course plus tardivement : à elle seule, l’Allemagne représente plus de 30% de la capacité mondiale de production d’électricité d’origine photovoltaïque, d’après les chiffres de l’Association européenne de l’industrie photovoltaïque.
Des coûts de soutien à l’industrie qui explosent
Mais chaque médaille a son revers. En Allemagne, la machine s’est emballée. Les années 2010 et 2011 ont chacune vu l’installation de 7 500 MW de panneaux solaires, soit plus du double des objectifs gouvernementaux. « Il y a clairement eu, au départ, une mauvaise estimation de l’impact des subventions, plus précisément une sous-estimation de la rentabilité du déploiement des panneaux avec subventions», explique Matthieu Glachant, directeur du Centre d’économie industrielle des Mines ParisTech.
Conséquence directe : le coût du soutien à l’énergie solaire a explosé. Le poids de la contribution spécifique à l’EEG – c’est à dire le coût du soutien à l’ensemble des énergies renouvelables – dans le prix de l’électricité payé par les ménages allemands est ainsi passé de 5% en 2009 à 14% en 2011, selon le German Institute for Economic Research (doc .PDF).
Des chiffres diffusés par RWI (Rheinisch-westfälisches Institut für Wirtschaftsforschung), un institut de recherche pro-industrie, ont jeté de l’huile sur le feu. Selon l’institut, le coût cumulé du soutien au photovoltaïque (la différence entre les sommes payées au titre du tarif de rachat et la somme payée pour la même quantité d’électricité au prix du marché) aurait franchi la barre des 100 milliards d’euros en 2011. Très contesté par les instituts de recherche pro environnementaux, à l’instar du Wüppertal Institute, le chiffre, largement repris par les médias allemands et les opposants au solaire, n’en a pas moins fait mouche.
Le nécessaire réajustement des tarifs de rachat
Au niveau politique, le coût du «miracle solaire» est soudainement devenu un sujet de vives tensions entre le ministre de l’environnement Norbert Röttgen issu de la CDU (Parti chrétien démocrate) et ses alliés libéraux au sein de la coalition gouvernementale. Les deux camps sont finalement tombés d’accord et la coupe des subventions, assortie de baisses automatiques en cas de dépassement des objectifs fixés par le gouvernement, a étéentérinée par le Parlement jeudi 29 mars.
Pour Matthieu Glachant, si la potion était amère, elle n’en était pas moins nécessaire pour permettre un retour à un rythme de développement raisonnable. «Une fois que l’erreur d’estimation est commise, soit on persiste, soit on la corrige, et cela crée du désordre», explique-t-il. « Il y avait donc à choisir entre deux maux. Personnellement, je trouve que la décision de revoir nettement à la baisse les subventions a été une très bonne décision, mais bien sûr l’idéal aurait été de ne pas commettre l’erreur au départ ».
La concurrence des pays émergents pointée du doigt
Les industriels, eux, accusent le gouvernement de mettre en péril un secteur qui emploie selon les estimations entre 45 000 et 100 000 personnes dans le pays. Ils pointent du doigt une concurrence qui, selon eux, bénéficie de la politique des tarifs de rachat sans en payer le prix.
Dans leur ligne de mire : les fabricants des pays émergents, Chine en particulier. En quelques années, ceux-ci ont déployé des capacités de production d’équipements photovoltaïques bien supérieures à celles de l’Europe, avec des coûts de production plus faibles. « L’Allemagne a une capacité de production de 3 GW par an. La Chine à elle seule a une capacité de production de 30 GW par an», explique le professeur Eicke Weber, directeur du Fraunhofer Institute for Solar Energy. Or «dans ce marché, seul le système avec les prix les plus bas peut être compétitif, et l’industrie allemande a de grosses difficultés à l’être ».
Plusieurs fabricants de cellules et de panneaux allemands, dont Q-Cells, envisagent même de déposer une plainte pour dumping auprès des autorités européennes. En cause : les politiques de soutien à l’investissement avantageuses dont bénéficient les industriels chinois, notamment pour moderniser leur outil de production.
Pour Eicke Weber, il s’agit d’un élément-clé de leur compétitivité. «Le gouvernement chinois a mis à la disposition des investisseurs des crédits très conséquents avec des taux d’intérêt très bas. L’industrie allemande n’a pas pu suivre.» Et ce, alors même que les outils de production en question sont souvent fabriqués… en Allemagne. « Pour la fabrication des machines, l’Allemagne est clairement leader. Les fabricants allemands fournissent la moitié des équipements mondiaux. Mais nous n’avons pas les mêmes capacités d’investissement. C’est une question de taille et d’âge des lignes de production. »
Le chercheur souligne que le vieillissement de l’appareil de production n’est pas seulement le problème des fabricants. Le monde de la recherche aussi pourrait en pâtir. «Nous craignons que si les capacités de production s’en vont, garder la recherche ici ne soit plus aussi valorisé», résume le professeur Weber.
Innover pour sortir de la crise
Un argument de poids, car s’il est un point qui fait l’unanimité, c’est celui-ci : l’innovation représente la meilleure chance pour les entreprises allemandes du secteur de survivre à la crise. « Les panneaux solaires deviennent une commodité, et [leur production] migre vers les pays à bas coûts, les pays émergents en particulier. Il est difficile d’être compétitif sur des produits à bas coûts. La manière d’échapper à cette concurrence des prix est de se spécialiser d’une manière ou d’une autre sur un produit premium ou de niche», explique Matthias Fawer, directeur Investissement durable chez Sarasin et co-auteur du rapport de la banque sur le sujet.
Matthieu Glachant, qui s’est rendu en Chine en 2010 pour étudier le développement de l’industrie photovoltaïque chinoise (lire le rapport du Cerna : Innovation et transfert technologique à l’échelle internationale : le cas de l’industrie photovoltaïque chinoise), va plus loin. Selon lui, la fabrication de panneaux et de cellules photovoltaïque classiques, à base de Silicium, n’a pas forcément vocation à rester en Europe. «A mon avis, l’un des problèmes majeurs de Q-Cells est celui d’une mauvaise spécialisation», explique le chercheur. «Quand on regarde la répartition des profits, où sont les marges ? Sur l’amont (la production et la transformation du Silicium), sur les équipements de production et sur l’aval, l’installation des panneaux. La production de cellules et de panneaux se basant sur la technologie mature du Silicium cristallin, sur laquelle est majoritairement Q-Cells, sera à terme effectuée par des entreprises chinoises, à moins de délocaliser la production en Chine. Pour être compétitif, il faut mettre de l’argent dans la recherche, investir sur les prochaines générations technologiques.»
Pour l’instant, les experts du secteur s’accordent à dire qu’en termes d’innovation, l’avantage est toujours du côté de l’Allemagne, en pointe depuis des années sur le secteur. Mais tous rappellent aussi que les choses peuvent changer très vite.
S’ils veulent rester compétitifs, les fabricants allemands et européens doivent être capables de retrouver un rôle de précurseurs dans leur domaine. «D’une certaine manière on peut dire que les entreprises allemandes dans leur meilleur temps, lorsqu’elles étaient leaders sur leur marché, sont devenues un petit peu paresseuses », souligne Mathias Fawer, de la banque Sarasin. «Elles pensaient qu’elles étaient les meilleures, elles ne voyaient pas leurs concurrents chinois arriver si vite. Elles ont été prises par surprise par la rapidité avec laquelle les entreprises chinoises ont augmenté leur production, baissé leur prix…»
Le soutien de l’offre en question
Mais pour certains, la politique a aussi son rôle à jouer. «Soyons très clairs. La politique énergétique de l’Allemagne a créé un marché pour le photovoltaïque, pas une industrie», rappelle le professeur Eicke Weber. « Il n’y a jamais eu de soutien direct à l’industrie, seulement les incitations de marché fournies par les tarifs de rachat garantis. C’est une nouvelle étape que de dire : maintenant que le marché est créé, nous ne devons pas le laisser aux Chinois. »
Une étape que devrait, selon lui, franchir l’Allemagne. «Je pense que nous devrions créer des conditions de concurrence égales, [en soutenant l'investissement comme le font nos concurrents]. Nous avons franchi la première étape, aujourd’hui nous devons franchir la seconde, pour tirer profit du marché que nous avons créé».
Ce point ne fait pas l’unanimité. Pour Matthieu Glachant, une politique de soutien de l’offre est nécessaire, mais devrait se concentrer sur les efforts de recherche. « Il y a eu une erreur de raisonnement qui a été de penser que subventionner la demande en énergie renouvelable permettrait de créer une industrie nationale. Or si on vise cet objectif dans une économie ouverte, il faut une politique d’offre, subventionner la R&D. » Pour lui, soutenir l’investissement dans l’appareil productif est difficile à justifier, notamment vis-à-vis d’autres secteurs industriels en proie aux mêmes difficultés.
En outre, les règles de l’Union européenne n’autorisent guère les distorsions de concurrence. Malgré la situation actuelle, les experts se veulent optimistes : avec ses structures de recherche performantes, le secteur photovoltaïque allemand a encore beaucoup de cartes à jouer. « Pour le moment, il n’y a pas beaucoup d’innovation ou de recherches en cours car il n’y a plus d’argent à investir », concède Matthias Fawer, de la banque Sarasin. Mais une fois rétabli l’ajustement entre l’offre et la demande, « je suis sûr qu’il y aura un regain de confiance, un nouveau cycle d’innovation».
Comme beaucoup d’observateurs du secteur, Matthias Fawer veut souligner les points positifs que la crise ne doit pas faire oublier. Grâce à la baisse spectaculaire des coûts de production, le photovoltaïque est devenu compétitif par rapport à d’autres sources de génération d’électricité beaucoup plus vite qu’on ne le pensait. «Et je crois que c’est ce qui compte finalement », souligne Matthias Fawer. « Combien de GWh d’électricité d’origine photovoltaïque, d’origine éolienne, sont produits et à quel prix. Quant à l’industrie, ceux qui survivront seront plus forts que jamais. »
[Article publié sous CC - ParisTech Review ]
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